Interview de Yannick ROGUET, ingénieur spécialisé dans les transports et la mobilité, à l’issue de la conférence-débat du 2 mars 2023 à La Roche-Sur-Foron.
Pour rappel, le projet consiste en la construction et l’exploitation d’un vélodrome sur la commune de La Roche-Sur-Foron avec espace multi-activités d’une capacité d’accueil de 10 000 spectateurs.
NAVA : Quels sont les moyens de transport existants pour se rendre à La Roche-sur-Foron, plus particulièrement à Rochexpo ?
Yannick ROGUET : Même si La Roche-sur-Foron est desservie par quelques bus et des trains, l’offre actuelle ne permet pas d’accéder à Rochexpo facilement en transports publics, notamment en soirée.
La Roche-sur-Foron est effectivement desservie par le TER et le Léman Express. Cependant, le temps de parcours entre la gare et Rochexpo est de 15 minutes, ce qui peut être dissuasif pour certains spectateurs. L’utilisation du train suppose donc la création d’un service de navettes reliant la gare et le site du Vélodrome Arena.
Si ce système de navettes répond efficacement à la logistique d’événements ponctuels comme des festivals, il devient onéreux et complexe lorsqu’il s’agit de pallier un déficit d’offre en transports publics réguliers.
De plus, les horaires des trains sont inadaptés aux évènements ayant lieu en soirée. En semaine, les derniers trains en direction de St-Gervais, Annemasse ou Annecy partent au plus tard aux alentours de 21h40 en moyenne (et même 21h30 le samedi). Bien avant la fin d’un spectacle !
Ayant bien sûr le mérite d’exister, le réseau de bus intercommunal “Proxim’iTi” constitue une offre si marginale qu’on peut la qualifier de quasi-inexistante.
Et sur le réseau routier actuel, ces bus sont déjà ralentis par un trafic très dense. Dans l’hypothèse où des événements majeurs rempliraient une salle de 10 000 spectateurs, il faudrait alors ajouter 4 000 voitures sur les routes, ce qui rendrait presque impossible la circulation dans, et autour de La Roche (y compris pour les bus) en début de soirée.
En l’état, il est évident qu’il n’y a pas d’alternative crédible à la voiture et que le réseau routier actuel n’est évidemment pas en capacité d’absorber cet important trafic supplémentaire généré par cette futur Arena.
NAVA : Les citoyens du Pays Rochois se retrouvent régulièrement à circuler au ralenti sur la départementale 1203. Peux-tu nous éclairer sur la capacité routière de cet axe ?
Yannick ROGUET : Comme je te le disais, les 4 000 voitures qui vont tenter d’accéder au(x) parking(s) dédiés au Vélodrome Arena vont venir sursaturer le réseau routier.
Mais ça, c’est de la théorie : en effet, dans des conditions normales de trafic (c’est-à-dire sur un tronçon en ligne droite, à 80km/h et sans carrefour), une voie de circulation n’est capable d’écouler au maximum que 1 800 véhicules par heure et par sens.
Dans ce contexte, il est donc physiquement impossible que le contournement routier de La Roche puisse accueillir autant de trafic supplémentaire à l’heure de pointe du soir. Et cette sursaturation aura évidemment des conséquences sur l’ensemble du réseau routier du Pays rochois et même au-delà, dans un rayon de 15-20km, y compris sur l’autoroute.
Je ne sais pas si tu es déjà allé(e) à l’Arena de Genève en voiture, une salle de 9 500 places qui est pourtant très bien desservie en transports publics (train, tram, bus). C’est déjà difficile d’y accéder, même si l’arrivée en voiture se fait de manière progressive entre 18h et 20h. Mais ça devient véritablement infernal lorsque la majorité de ceux qui sont venus en voiture tentent de quitter les parkings à la fin du spectacle, bien que ces derniers soient directement connectés à l’autoroute.
Pour le Vélodrome Arena, je te laisse imaginer la motivation d’un spectateur à renouveler son expérience lorsqu’il aura mis un temps fou à rentrer chez lui après son premier concert au Vélodrome Arena…
NAVA : Des solutions alternatives à la voiture sont-elles envisageables pour accéder au site ?
Yannick ROGUET : Pour réduire le nombre de voitures, il faudrait développer, et de manière importante, l’offre en transports publics pour permettre :
1) d’étendre les horaires de bus et de train en soirée,
2) d’augmenter la cadence des trains et bus par heure.
Or, le Département n’intervient pas dans ce domaine puisque ce sont la Région Auvergne Rhône-Alpes (organisation et financement des transports express régionaux TER et Léman Express) et le Syndicat Mixte des Quatre Communautés de Communes (pour le réseau de bus Proxim’iTi) qui sont compétents.
Mais tout ça coûte également très cher et, à ce jour et en l’état de mes connaissances, les décideurs politiques n’envisagent pas d’améliorer l’offre en transports publics à court et moyen terme.
Inévitablement,la voiture restera donc le mode de déplacement privilégié pour se rendre au Vélodrome Arena, avec probablement des conséquences :
- économiques sur le commerce local (accès difficile) ;
- environnementales et sanitaires (pollution de l’air, consommation foncière) ;
- financières (coût de la gestion de parkings qui seront vides la plupart du temps).
NAVA : On imagine donc que le projet ne verra pas le jour sans la création d’un nouveau parking. Quelle sera sa capacité ? Pour quel surcoût ?
Yannick ROGUET : Pour un équipement public d’une capacité de 10 000 places, il faut compter 4 000 places de parking, à raison de 2,5 personnes par voiture en moyenne.
LES CHIFFRES :
4 000 places de parking représentent une surface de 100 000 m² soit :
- 5,6 fois le bâtiment du Vélodrome Arena lui-même,
- 5 fois le parking existant de Rochexpo.
LES QUESTIONS EN SUSPENS :
NAVA :Où se trouvera ce parking ? Faudra-t-il artificialiser davantage des terres agricoles ou vivantes, pourtant si rares et si précieuses ?
Yannick ROGUET : Il y aura peut-être plusieurs parkings en ouvrage (hors-sol ou souterrain), mais le Maire de La Roche-sur-Foron souhaite que ces parkings soient situés en dehors de sa commune. Cela me semble difficile en termes fonctionnel puisqu’il sera assez inconfortable, en tant que spectateur, de ne pas pouvoir aller se garer directement sur le parking de son choix et être assuré d’y trouver une place.
Concernant l’artificialisation des terres, je pense que les autorités locales et départementales tenteront de la minimiser parce qu’ils ont consciences que cela motivera les opposants au projet à attaquer les décisions en justice.
Elles vont tout faire pour donner l’illusion d’un projet vertueux en terme environnemental, alors qu’on sait très bien qu’un projet d’une telle envergure et d’une utilité plus que discutable, est tout sauf responsable.
Mais, même s’il est question de requalifier des friches industrielles et de chercher à construire ce(s) parking(s) en ouvrage (hors sol ou souterrain), ces terrains seront sacrifiés pour servir quelques heures par semaine.
NAVA : Combien cela coûtera-t-il ?
Yannick ROGUET :
- parking en silo : 8 000€ HT/place, soit 32 millions € HT ;
- en souterrain : 20 000€ HT/place, soit 80 millions € HT ;
- auxquels il faut ajouter les coûts d’exploitations à prévoir.
Attention : ces coûts ne prennent pas en compte la dimension paysagère et esthétique de ces ouvrages, ni-même le renchérissement du cours des matériaux. Ces aspects viendront forcément augmenter la note.
Incontestablement, le stationnement des véhicules fait partie intégrante du projet. Pourtant, il n’est pas compris dans le budget de 62M€ annoncé par le Département (et rappelé dans son bulletin de mars-avril 2023). Aussi, eu égard aux contraintes budgétaires du moment et, même si Martial Saddier assure que le département de la Haute-Savoie est riche, il est plus probable que les élus optent pour un parking en silo (en étages) car moins coûteux. Malgré tout, cet ouvrage supplémentaire fera sacrément augmenter le coût total de ce méga équipement !
A noter que ce.s parking.s devra.ont également accueillir les visiteurs et exposants de Rochexpo, puisque l’Arena va être construite sur le tout nouveau parking de Rochexpo !
Et, même si la mutualisation de l’offre en stationnement entre les besoins des visiteurs de Rochexpo et ceux de l’Arena est bien sûr souhaitable, on peut légitimement s’interroger sur la capacité de ce(s) futur(s) parking(s) à satisfaire simultanément tous les besoins, principalement sur la période de fin de journée où Rochexpo accueille encore beaucoup de visiteurs et où les premiers spectateurs de l’Arena arriveraient.
Et quid du stationnement des exposants ? Pourront-ils encore accéder facilement au site ?
NAVA : Un mot pour la fin ?
Yannick ROGUET : Il est certain que le mode de transport privilégié pour accéder au Vélodrome ARENA sera la voiture. Si des événements majeurs accueillaient 10 000 spectateurs, cela aurait pour conséquence directe d’engorger massivement les voies d’accès à la La Roche-Sur-Foron et l’ensemble du réseau routier dans un rayon de 15-20km.
Au surplus, le projet nécessite, de fait, la création de parkings dont le coût (plusieurs dizaines de millions d’euros) n’a manifestement pas été pris en compte !
L’impréparation totale des infrastructures de transports autour du Vélodrome Arena démontre, une nouvelle fois, l’absurdité du projet et l’inconséquence des élus décisionnaires.
Ce manque d’organisation :
- augmentera l’artificialisation des sols dans un département où le foncier est un bien commun qui se fait rare,
- rendra le quotidien des habitants du Pays Rochois plus compliqué, sans qu’ils puissent véritablement en tirer des bénéfices.
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